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Joseph, l'ancêtre du FMI


Par Caspar Visser 't Hooft

C’était mon tour d’assurer la méditation prévue pour le début de séance. En général nous prenons ce qu’on appelle « le texte du jour ». L’Eglise protestante unie de France en lien avec « plusieurs Eglises protestantes d’Europe » propose pour chaque jour un passage biblique. Pour lundi 29 juin était prévu Genèse 47, 1 – 12. C’est le récit de l’installation de la famille de Joseph en Egypte. Je regarde ce qu'on propose pour le jour suivant. C’est Genèse 47, 27 – 31. Dans ce court passage Jacob, le père de Joseph, exprime ses dernières volontés. Je dis : Quoi ? Pourquoi avoir omis ce qui se situe entre les deux passages ? C’est-à-dire Genèse 47, 13 – 26.

Je me refuse de soupçonner les réalisateurs de la « Lectio divina » d’un parti pris extrême-libéral. Car le passage omis révèle le fonctionnement scélérat d’un mécanisme comparable à celui du Fonds monétaire international (FMI). Et toute « révélation » est dangereuse aux yeux de ceux qui préfèrent que les choses se retranchent dans un flou qui empêche toute claire dénonciation. Non, c’était peut-être pour cacher le côté sombre – très sombre – d’un personnage respecté. La réputation de Joseph est en jeu, le vice-roi d’Egypte qui a fait de bien pour les siens ! Quoi qu’il en soit, cette omission est inacceptable, c’est pourquoi – évidemment – j’ai pris le passage occulté comme sujet de ma méditation.

Je vous laisse lire le texte, vous saurez vous-mêmes tirer vos conclusions. Mais je vous invite aussi à lire les ouvrages Naomi Klein. Les parallèles entre ce qui est raconté dans Genèse 47, 16 – 26 et ce que Naomi Klein appelle la « stratégie du choc » sont frappantes. Il faut des chocs pour que des peuples acceptent d’entrer dans le système vicieux d’endettements et de dépendances croissants. Ces chocs peuvent être des catastrophes naturelles. Naomi Klein nous donne entre autres l’exemple de ce qui s’est passé au Sri Lanka après le tsunami de 2004. Au lieu d’encourager le rétablissement de la pêche traditionnelle à laquelle des dizaines de milliers de Sri Lankais étaient attachés, le FMI était venu en aide au pays en posant des conditions qui favorisaient l’enrichissement de quelques promoteurs immobiliers et l’appauvrissement des pécheurs. Sur l’instigation du FMI le gouvernement préférait privatiser les plages, dans le but d’en créer des paradis pour touristes fortunés, plutôt que de permettre aux pécheurs de rebâtir leurs villages sinistrés par la catastrophe. Ainsi toute une population qui avant cette catastrophe vivait « libre » dans ses lieux ancestraux, était réduite à la misère crasse de ceux qui n’ont d’autre option que de se replier dans les bidonvilles des mégalopoles. Mais les chocs dont parle Naomi Klein dans son ouvrage phare La stratégie du choc peuvent aussi être provoqués volontairement par ceux qui y voient un intérêt matériel. Ces chocs causent chez des populations un état de sidération, et par conséquent de grande fragilité, qui les empêche de résister aux vautours comme ils l’auraient fait si ces chocs n’avaient pas eu lieu. Naomi Klein pense par exemple à la guerre en Irak et à ses suites.

Joseph, personnage respecté, personnage sinistre ? En tous cas, ancêtre du FMI – il me semble. Jugez vous-mêmes.

Il n’y avait plus de pain dans tout le pays, car la famine était très grande ; le pays d’Égypte et le pays de Canaan languissaient, à cause de la famine. Joseph recueillit tout l’argent qui se trouvait dans le pays d’Égypte et dans le pays de Canaan, contre le blé qu’on achetait ; et il fit entrer cet argent dans la maison de Pharaon. Quand l’argent du pays d’Égypte et du pays de Canaan fut épuisé, tous les Égyptiens vinrent à Joseph, en disant : Donne-nous du pain ! Pourquoi mourrions-nous en ta présence ? car l’argent manque. Joseph dit : Donnez vos troupeaux, et je vous donnerai du pain contre vos troupeaux, si l’argent manque. Ils amenèrent leurs troupeaux à Joseph, et Joseph leur donna du pain contre les chevaux, contre les troupeaux de brebis et de bœufs, et contre les ânes. Il leur fournit ainsi du pain cette année-là contre tous leurs troupeaux.

Lorsque cette année fut écoulée, ils vinrent à Joseph l’année suivante, et lui dirent : Nous ne cacherons point à mon seigneur que l’argent est épuisé, et que les troupeaux de bétail ont été amenés à mon seigneur ; il ne reste devant mon seigneur que nos corps et nos terres. Pourquoi mourrions-nous sous tes yeux, nous et nos terres ? Achète-nous avec nos terres contre du pain, et nous appartiendrons à mon seigneur, nous et nos terres. Donne-nous de quoi semer, afin que nous vivions et que nous ne mourions pas, et que nos terres ne soient pas désolées. Joseph acheta toutes les terres de l’Égypte pour Pharaon ; car les Égyptiens vendirent chacun leur champ, parce que la famine les pressait. Et le pays devint la propriété de Pharaon. Il fit passer le peuple dans les villes, d’un bout à l’autre des frontières de l’Égypte. Seulement, il n’acheta point les terres des prêtres, parce qu’il y avait une loi de Pharaon en faveur des prêtres, qui vivaient du revenu que leur assurait Pharaon : c’est pourquoi ils ne vendirent point leurs terres.

Joseph dit au peuple : Je vous ai achetés aujourd’hui avec vos terres, pour Pharaon ; voici pour vous de la semence, et vous pourrez ensemencer le sol. À la récolte, vous donnerez un cinquième à Pharaon, et vous aurez les quatre autres parties, pour ensemencer les champs, et pour vous nourrir avec vos enfants et ceux qui sont dans vos maisons. Ils dirent : Tu nous sauves la vie ! que nous trouvions grâce aux yeux de mon seigneur, et nous serons esclaves de Pharaon. Joseph fit de cela une loi, qui a subsisté jusqu’à ce jour, et d’après laquelle un cinquième du revenu des terres de l’Égypte appartient à Pharaon ; il n’y a que les terres des prêtres qui ne soient point à Pharaon (Genèse 47, 13 – 26)

Espérons que le peuple grec saura résister à la tentation de devenir esclaves…

Caspar Visser 't Hooft est pasteur de l'Eglise protestante unie à Orange-Carpentras. Il est membre du groupe "Bible et économie"

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