Une théologie de l'offrande
- casparvth
- 2 oct. 2014
- 20 min de lecture
Par Caspar Visser 't Hooft
L’animation financière
1) Le don premier de Dieu
Ce qu’on pourrait appeler « la théologie de l’offrande » part de la foi en un Dieu qui nous a donné en premier. Comme vous le savez, beaucoup d’enseignements (« torot ») de l’Ancien Testament, notamment ceux qui concernent le vivre-ensemble sont introduits par un rappel des grands faits de Dieu :
Il a libéré le peuple Israël de la maison d’esclavage, non pas pour qu’ensuite ce même peuple mette en place un système de société où les uns écrasent les autres, en faisant de ces derniers des esclaves, mais pour que ce peuple manifeste cette liberté reçue en organisant son vivre-ensemble sur la base du respect de la liberté de chacun.
Il a donné au peuple Israël une terre, alors – puisque la terre lui a été donnée – que les uns ne s’approprient pas des bouts de cette terre comme s’ils les avaient accaparés par leurs propres moyens ! Rappeler que la possession de la terre se fonde sur un don premier de Dieu, c’est créer un lien essentiel entre l’idée du don et l’idée de propriété. La propriété ne peut être une main fermée.
Il a donné au peuple de nombreuses victoires contre ses ennemis. La preuve, c’est David contre Goliath, c’est Gédéon et seulement 300 hommes contre Madian, « aussi nombreux que les sauterelles du désert ». « Pour qu’Israël sache que ce n’est pas ma main qui l’a délivré, mais Dieu » - dit Gédéon. Par conséquent, il aurait été mal placé si Israël se comportait comme s’il avait, lui seul, vaincu l’ennemi et que ces chefs devenaient comme ces bâtisseurs d’empire qui considéraient leurs conquêtes comme des preuves de leur quasi-divinité.
Votre liberté, votre terre, vos victoires : tout cela est don de Dieu. La loi aussi est don de Dieu. Ce sont surtout Jésus et l’apôtre Paul, qui le rappellent quand ils sont confrontés avec des groupes de personnes au sein de la société qui, de fait, se sont accaparés cette loi pour en faire un instrument de domination. La loi n’est pas votre loi, la loi est la loi donnée par Dieu ! Or voilà, cette loi – « tora », enseignement – comprend un ensemble de règles dont le but est, précisément, de donner un moyen très concret qui oblige à rappeler la générosité de Dieu. C’est cette partie-là de la législation qui concerne les « prémices » et le « dîme ». Citons un passage dans Lévitique (Lev. 23, 10 – 11) « Quand vous serez entrés dans le pays que je vous donne et que vous en ferez la moisson, vous apporterez au prêtre une gerbe, prémices de votre moisson, et il balancera la gerbe devant le Seigneur pour que vous soyez agrées. » Daniel Marguerat, dans son livre récent Dieu et l’argent (éd. Cabédita, 2013) résume parfaitement le sens ce commandement quand il dit : « Ce geste est assurément un acte de reconnaissance envers le Dieu donateur de la terre promise, avec toutes ses richesses. Mais au travers cette reconnaissance se joue, plus fondamentalement, un rite symbolique de dépossession. En se séparant d’une part de sa richesse (la première !), le croyant s’interdit la totale maîtrise de ses biens. Il reconnaît publiquement et devant Dieu que ce qu’il a, certes, gagné à la sueur de son front, provient de la mise en valeur d’une terre reçue. » Et il ajoute – et on s’attardera là-dessus dans un instant : « Se reconnaître gratifié ouvre à un possible partage. » Offrir les prémices à Dieu pour se rappeler qu’à la base tout vient de lui : cela pouvait être les prémices de la récolte, les prémices du troupeau. L’offrande est avant tout une offrande faite à Dieu. Et c’est pareil pour la fameuse dîme.
Et c’est dans un deuxième temps, et dans un deuxième temps seulement, que cette offrande – offrande de prémices, dîme - devient partage, aumône fait aux pauvres, contribution au fonctionnement de l’appareil sacerdotal, salaire des prêtres. Dieu lui-même à travers ses commandements désigne les bénéficiaires des dons qui lui ont été faits, de sorte que ces dons deviennent effectivement « partage ». La dîme était un prélèvement qu’on faisait chaque année sur le produit agricole, à savoir un dixième. On l’apportait à Jérusalem où l’on le mangeait en famille « devant le Seigneur ». En famille - mais il est précisé que « le lévite ne devait pas être négligé ». Tous les trois ans la dîme qui était prélevée était directement destinée au « lévite », à « l’émigré, la veuve et l’orphelin ». (Deut. 14, 22 – 29 ; voir aussi Deut. 18, 1 – 8). Mais le fondement reste le même : à la base de ce partage ne se trouve pas un sentiment de pitié pour les pauvres, il s’agit d’un geste de lâcher prise qui reconnaît en Dieu l’origine de ses biens.
Pour nous qui sommes chrétiens, cette « théologie de l’offrande » trouve son plein accomplissement en Jésus-Christ, en qui Dieu s’est donné lui-même à nous. Dès lors nous fondons notre offrande sur ce don effectué sur la croix. Mais c’est toujours ce don premier de la part de Dieu auquel notre acte de donner se réfère. La première Eglise avait abandonné la pratique du don des prémices et des dîmes tel que cela avait été pratiqué par les Juifs. Cette pratique faisait partie d’un système plus global qui dépendait des théologies sacerdotales et sacrificielles de l’Ancien Testament qu’à la suite de Jésus, les chrétiens rejetaient. Où plutôt, ils le spiritualisaient : ils voyaient dans certaines pratiques de l’ancien Israël comme des images, des figures, dont on pouvait toujours se servir pour exprimer la foi. Ainsi les prémices et les dîmes pouvaient servir comme figures de l’appel fait aux chrétiens à donner. Il ne s’agissait pas de les imiter, mais de s’en inspirer, à la fois dans ce qu’ils exprimaient de reconnaissance envers Dieu, qui lui donne le premier, et dans leur affectation. Les communautés des premiers chrétiens ne tardaient pas à devenir des Eglises dont le fonctionnement nécessitait des appels à la générosité faits à ses membres. Ceci concernait deux domaines : l’aide aux pauvres, et – de plus en plus – la construction et l’entretien de chapelles et d’Eglises, les allocations faites aux membres du clergé … etc. Et nous voilà arrivé à l’offrande au culte, avec comme corollaire, pour nous aujourd’hui, le « don nominatif ». Car nous nous situons dans le prolongement direct de ces premières Eglises. Leurs pratiques en matière de don s’inspiraient de pratiques décrites dans l’Ancien Testament, les dons apportés étaient affectés aux pauvres et aux prêtres, c’est-à-dire au fonctionnement du culte au temple. Eh bien, Aujourd’hui on dirait : d’un côté il y a l’entraide, de l’autre côté le fonctionnement de l’Eglise et le salaire des ministres.
Que faut-il conclure de cela pour notre « animation financière », tâche importante, sinon première, des trésoriers de nos paroisses ? C’est de jamais oublier que cette animation doit toujours commencer par l’annonce de la générosité de Dieu, qui lui donne en premier, chose qui fonde notre don. Notre offrande à l’Eglise (au fond tous les dons – mais comme nous parlons d’animation financière au sein de l’Eglise, nous parlons de dons faits à l’Eglise, nous appelons cela « l’offrande ») est avant tout expression de notre reconnaissance envers Dieu. Un geste de lâcher prise.
Et puisque c’est ainsi, il est important de faire attention à ce qu’un langage provenant d’une autre logique n’entache les formules et les phrases dont nous nous servons dans notre animation financière. Car pour nous, il existe deux logiques qui se confrontent, leurs langages sont incompatibles. Il y a la logique du don gratuit, et il y a la logique « du monde », qui est la logique du donnant-donnant. Une animation qui se borne à mettre en avant les « prestations » de l’Eglise se fonde non pas sur la théologie de l’offrande, mais sur la logique « du monde » du donnant-donnant. On peut penser à l’argument souvent avancé pour inciter les uns et les autre à donner à l’Eglise qui est de dire qu’ils bénéficient des services de l’Eglise, notamment à l’occasion de mariages ou des décès. J’ai été très étonné de voir comment sur le site de notre Eglise l’on y présente les statistiques. Au lieu de parler de « membres » de l’Eglise », il y est dit : « 350.000 personnes « ont fait appel aux services de l’Eglise »… L’animation financière fait partie intégrale du témoignage que nous, chrétiens, sommes appelés à apporter au monde. Ce témoignage se fonde sur la logique du don gratuit et par là contredit de façon radicale la logique du monde qui est celui de la justice rétributive ou du donnant-donnant. Comme il s’agit d’un domaine très sensible, à savoir notre rapport à nos propres biens, c’est peut-être même là le grand test : est-ce que tu sais lâcher prise, condition pour vivre des relations libres et vivantes avec Dieu et les prochains qu’il met sur ton chemin, ou est-ce que tu t’accroches à tes biens, ce qui veut dire que tu en devient l’esclave, ce qui te ferme l’accès à Dieu et à ton prochain ? L’animation financière confronte les uns et les autres avec ce test. Elle a donc un côté « annonce », « proclamation ». Une bonne animation financière vaut une prédication. Pour dire : attention à ce que nous disons, il s’agit toujours de commencer par l’annonce d’un Dieu généreux qui donne gratuitement.
2) L’Eglise, de quoi vit-elle ?
Le don exprime donc la reconnaissance envers un Dieu généreux, elle est aussi un lâcher prise qui ouvre à l’essentiel, à savoir le rapport juste de l’homme envers son Dieu (reconnaissance) et envers son prochain (amour fraternel). Tout en affirmant ceci, l’Eglise s’inspire de la pratique du don de la communauté de l’Ancien Testament. Les dons sont affectés d’un côté à l’aide aux nécessiteux (diaconie, entraide), de l’autre côté à ce qui est nécessaire pour le fonctionnement de l’Eglise, à commencer la rémunération des pasteurs. Mais ce n’est pas pour autant que la vie de l’Eglise – à la fois dans son aspect diaconal et dans son aspect de fonctionnement interne – dépende de ces dons. On ne peut pas dire : Dieu me donne tout, pour cela je lui suis reconnaissant, chose que j’exprime par le fait que je donne à mon tour, à l’Eglise en l’occurrence, et voilà ce qui permet à l’Eglise de vivre. Non, l’Eglise ne vit pas de nos dons, elle vit des dons de Dieu. Sa vie est don de Dieu. Dieu fait vivre son Eglise, Dieu la fait fonctionner, Dieu à travers elle donne aux pauvres. Croire, confesser cela, voilà ce qui rend mon don vraiment gratuit. En donnant à l’Eglise, je m’inscris dans cette dynamique du don qui du début jusqu’à la fin est une dynamique divine. Dieu permet que je m’associe à cette dynamique du don qu’il initie, mon don est son don. Et si moi je ne donne pas, d’autres donneront, puisqu’avec moi ou sans moi, Dieu fera vivre son Eglise, la fera fonctionner, c’est lui qui pourvoira - à travers les hommes et les femmes qu’il appelle et qui librement répondent à cet appel. Oui, voilà ce qui rend mon don complètement gratuit : son « effet », « impact » ne m’appartient pas. Cette gratuité, c’est sûrement ce que Jésus a voulu exprimer par sa parabole de la semence qui pousse d’elle-même : « que l’homme qui les avait semés dorme ou qu’il soit debout, la semence germe et grandit, il ne sait comment D’elle-même elle produit… « (Marc 4, 26 – 28). Il parlait du Royaume de Dieu, certes – mais à quoi l’Eglise n’est elle appelé sinon de refléter ce Royaume ? Et cette gratuité absolue du don à l’Eglise doit aussi apparaître dans l’animation financière. Celui qui donne n’est plus le maître de son offrande, s’il a compris que son don n’est pas comme un payement à l’avance d’une prestation qu’il est en droit d’attendre de l’Eglise, il doit comprendre aussi que son don ne lui donne pas des droits sur l’affectation de son don. En tant que membre de l’Eglise, il est appelé à participer aux prises de décisions concernant son fonctionnement – ce qui comporte la question de l’affectation des dons – mais ce n’est seulement à ce titre là. Il n’est plus le maître de son offrande.
Ici aussi, il est donc important de faire bien attention à ce que nous disons. Faire appel aux dons, parce que « c’est votre don qui fait vivre l’Eglise » peut induire en erreur. Il est mieux de dire : « Par votre don, vous participez à ce qui fait vivre l’Eglise », surtout quand on ajoute que ce qui fait vivre l’Eglise, c’est l’amour généreux de Dieu qui, lui, donne tout. Mais c’est vrai, il nous permet de participer à cet élan de générosité dont il est l’origine et qu’il mènera jusqu’au bout.
La gestion financière
Jusqu’ici il s’agissait de se mettre au clair sur ce qui doit animer celui qui au nom de sa foi donne, en l’occurrence à l’Eglise. On ne va certes pas refuser des dons qui sont faits pour d’autres motifs, pourvu qu’ils soient honnêtes, mais nous parlons aujourd’hui de la théologie de l’offrande, et c’est sur cette théologie de l’offrande que notre animation financière doit se baser. Dans ce sens, cette animation financière est un élément très important de l’annonce de l’Evangile à laquelle l’Eglise est appelé. Elle doit rappeler que le don à l’Eglise ne donne pas droit à un contre-don (un service), et qu’il ne donne pas droit non plus à une maîtrise de son affectation. Maintenant nous allons passer du côté des donateurs à l’autre côté, le côté des receveurs. Que fait l’Eglise des dons reçus ? Comme les gère-t-elle ? Si l’on considère la théologie de l’offrande comme se référant à ce qui fonde le don et à sa dynamique propre, on peut se demander si la gestion des dons reçus n’appelle pas à se référer à d’autres théologies, par exemple à l’ecclésiologie, c'est-à-dire la théologie de l’organisation de l’Eglise. On le peut, on le doit – mais ce qui en tous cas me semble clair, c’est qu’on ne peut pas complètement dissocier l’animation financière et la gestion financière. Car cette gestion financière s’inscrit aussi dans le témoignage auquel l’Eglise est appelé : la façon dont les dons sont recueillis et affectés par l’Eglise peuvent être reçus comme un beau témoignage (qui d’ailleurs peut inciter aux dons). Si on appelle aux dons en se référant à la générosité de Dieu, mais qu’en même temps la façon dont les dons sont reçus et gérés ne reflète point cette générosité mais plutôt le contraire, l’animation financière ne vaudra pas grande chose. Car les donateurs, même s’ils n’ont plus la maîtrise de leurs dons ont évidemment le droit de savoir ce qu’on en fait. S’ils voient que leurs dons sont mal gérés – c’est-à-dire d’une façon qui ne situe pas dans le prolongement de ce qui était à la base de leurs don, à savoir la foi en la générosité de Dieu – les voilà confrontés à un contre-témoignage, et il y a là une chance qu’ils ne donneront plus. Pour dire que la théologie de l’offrande se rapporte aussi à la gestion financière.
Cette gestion des finances de l’Eglise, je vous propose de l’aborder sous cinq aspects qui doivent la caractériser : 1) elle est confiante 2) elle se laisse interpeller par la critique prophétique 3) elle est solidaire 4) elle est ancrée dans le culte et 5) elle prend au sérieux la mise en garde contre la puissance envoûtante de l’argent en tant qu’argent.
1) La confiance
Ici, je reviens à ce que j’ai rappelé plus haut : c’est Dieu, et lui seul, qui fait vivre l’Eglise. Par notre offrande et aussi par la gestion des dons, nous participons à la vie de l’Eglise qui même sans nous, ici, vivrait – puisque Dieu la fait vivre. Nous sommes des serviteurs inutiles dont pourtant Dieu veut bien se servir. Cela rend notre don complètement gratuit, cela rend aussi notre engagement de « gestionnaires » des finances de l’Eglise complètement gratuit – et surtout, et c’est là où je veux en venir ici, cela inspire notre façon de gérer les finances. Savoir que l’Eglise et ses ressources appartiennent à Dieu et à lui seul, cela ouvre non seulement à une attitude de partage et de solidarité, mais aussi à la confiance. L’effet, l’impact de nos offrandes ne nous appartiennent pas, mais l’impact de la gestion de ces offrandes, une fois reçues en Eglise, non plus. C’est Dieu qui fait vivre son Eglise, pas nous. Par ailleurs il nous appelle à une attitude de rigueur et de responsabilité dans tout ce que nous faisons. Cela veut dire que la gestion financière doit être rigoureuse et responsable, c’est certain – mais, elle ne doit pas faire une fixation sur les résultats des objectifs qu’elle se donne. Se donner des objectifs est nécessaire, pourvu bien sûr qu’ils reflètent le grand projet de Dieu pour le monde et son Eglise, mais là aussi, ce ne sont pas ces résultats qui font vivre l’Eglise. Ils participent à ce qui fait vivre l’Eglise, mais sans ces résultats-là, l’Eglise vivrait aussi. Car Dieu ferait en sorte qu’il y ait d’autres résultats. En somme, la « rentabilité » de notre gestion financière nous dépasse, puisqu’en dernier lieu les résultats ne dépendent pas de nous, mais uniquement de Dieu.
Avoir cette confiance, et en témoigner dans la façon de gérer les dons faits à l’Eglise (la gestion financière), cela ne va pas du tout de soi dans la réalité qui est la nôtre, marquée par une recherche effrénée de la rentabilité. Il s’agit dans notre économie de maîtriser au maximum les résultats de nos actions, avec comme conséquence de trop se fixer sur les résultats à court terme – toujours plus faciles à contrôler – au détriment de la patience et de la confiance (!) qui caractérisent l’attente de résultats à long terme. Attendre des résultats à long terme nécessite aussi une certaine ouverture d’esprit : c’est accepter que les résultats ne correspondent pas exactement aux buts fixés au départ. Plus est grand l’écart qui sépare le départ – l’élaboration du projet avec son pronostic – du résultat, plus est grand aussi le risque que des imprévus entrent en jeu. Accepter ces imprévus, c’est faire montre d’un esprit ouvert, et pour cela il faut beaucoup de confiance. Se « coller » dès le départ aux résultats, c’est signe de méfiance, de peur. En Eglise, nous avons pris l’habitude d’élaborer des « projets de vie », avec des « évaluations » toutes les X années. Dans ces projets de vie, il y a en général des volets qui concernent les finances de l’Eglise et sa gestion. Je ne vais pas juger de la pertinence de ces stratégies clairement empruntées au management, mais je voudrais quand même attirer votre attention sur le risque qu’une insistance trop forte sur cette stratégie comporte. C’est que cela peut nous amener à perdre de vue l’essentiel : toutes nos actions, toutes nos stratégies, toutes nos animations, tout notre gestion, ce sont des graines que nous semons. C’est Dieu, et lui seul, qui fera pousser les plantes, quand il veut, ou il veut. L’Eglise n’existe pas grâce à nos « projets de vie », l’Eglise existe grâce à un Dieu de vie qui est fidèle et qui mène toute chose au bien. Et ceci doit apparaître dans notre gestion financière, tout comme dans l’animation financière qui en rend compte. Nous sommes appelés à un travail sérieux, rigoureux, mais cela dans la confiance. C’est ce qui nous libère de cette fixation nerveuse sur les résultats de nos actions, de nos « projets de vie », de nos stratégies, aussi en matière de finances.
2) La critique prophétique
Nous avons vu comment Dieu lui-même à travers certaines de ses lois désignait les destinataires des offrandes qu’on lui apportait. C’était d’un côté pour les pauvres, de l’autre côté pour les « lévites », ce qui veut dire pour le fonctionnement du culte du temple. La première Eglise s’est inspirée de cette tradition Juive dans l’affectation des dons qu’elle recevait de ses membres : il y avait d’un côté le diaconat, de l’autre le fonctionnement de l’Eglise (bâtiments, rémunération du clergé etc.). Or voilà que l’Ancien Testament ne se présente pas comme uniquement un code de lois, il nous présente aussi un grand nombre de témoignages de prophètes très critiques quant à la mise en application de ces lois. Et leur parole est non moins « parole de Dieu » que ne le sont les lois promulguées au nom de Dieu. Dans le concret l’application de ces lois trahissait souvent l’esprit de ces lois. Il y a toujours façon d’émousser la rigueur d’une loi ou de la contourner par l’élaboration de toute une casuistique. C’était ce que les prophètes dénonçaient. Et leurs attaques visaient souvent le culte du temple et sa gestion dont ils critiquaient les dérives : la part d’offrande affectée au culte, à l’entretien du temple et de son personnel, devenait trop importante par rapport à cette part destinée aux pauvres, par exemple. Sur cette même critique prophétique se sont toujours inspirés ceux qui dénonçaient les abus de l’Eglise, d’autant plus que Jésus lui-même avait repris en son temps la critique des prophètes. Et n’oublions pas que la Réforme était pour commencer une révolte contre une Eglise devenue une simple « pompe à fric ». Ceci a bien sûr une incidence sur notre façon de gérer les finances. Les avertissement des prophètes de l’Ancien Testament, de Jésus lui-même, et de tous ceux qui se sont opposés contre une Eglise qui oubliait qu’elle est au service d’un Dieu juste qui veut le bien de tous les hommes, qu’elle est donc au service des hommes, à commencer par les pauvres, doit donc toujours nous interpeller. L’Eglise n’est pas là pour faire de l’argent, comme le fait une banque, ni pour enrichir certains au détriment d’autres. La gestion financière de l’Eglise doit toujours se laisser interpeller par cette critique prophétique, il en va de la pertinence et de la cohérence de son témoignage.
D’ailleurs, cette critique prophétique pourrait aussi nous interpeller sur la question de l’épargne de l’Eglise. Cette épargne est placée à la banque, qu’est-ce que la banque en fait ? Où est-ce qu’elle place l’argent de l’Eglise ? L’Eglise, ne trahit-elle pas le message qui la fonde quand son argent, placé à la banque, est investi dans l’industrie de l’armement, par exemple ? On peut en débattre – non, il faut en débattre.
3) La solidarité
Ici je me réfère à un passage dans la deuxième épître de Paul au Corinthiens, à savoir les chapitres 8 à 11. L’apôtre s’adresse aux Corinthiens et il leur rappelle que son travail d’évangélisation auprès d’eux a été rendu possible grâce aux dons qu’il recevait des chrétiens de la Macédoine. Il dit : « Etait-ce une faute de m’abaisser moi-même pour vous élever, en vous annonçant gratuitement l’Evangile de Dieu ? J’ai dépouillé d’autres Eglises, acceptant d’elles de quoi vivre pour vous servir. Et lorsque j’ai été dans le besoin pendant mon séjour chez vous, j’ai exploité personne, car les frères venus de Macédoine ont pourvu mes besoins (2 Cor. 11, 7 – 9a) ». En somme, Corinthe a bénéficié d’un ministre grâce à la solidarité d’une autre communauté. Pour Paul, cette solidarité entre Eglises est très importante. Un peu avant, dans la même épître, vous trouvez un long discours dans lequel il appelle l’Eglise de Corinthe, entretemps devenue une Eglise florissante, à contribuer à une grande collecte en faveur des pauvres de l’Eglise-mère à Jérusalem. Cet appel à la solidarité vise plus qu’un simple partage de ressources. Pour Paul cette solidarité, que la collecte exprime, doit aussi renforcer des liens entre deux Eglises qui sinon risqueraient de se séparer. Pour lui, cette collecte faite par les chrétiens de Corinthe en faveur des chrétiens de Jérusalem est un moyen de consolider le lien entre deux composantes assez distinctes du christianisme naissant, à savoir celle des chrétiens d’origine païenne, comme le sont pour la plupart les chrétiens de Corinthe, et celle des chrétiens d’origine Juive, les chrétiens de Jérusalem en l’occurrence.
La théologie de l’offrande doit intégrer cet aspect de solidarité entre Eglises, le fondement biblique est suffisamment solide. La gestion financière de l’Eglise, qui se base sur la théologie de l’offrande, ne peut donc se passer d’un souci de solidarité et de partage entre Eglises : solidarité qui par des gestes de partage des dons reçus renforce les liens entre Eglises, et par lesquels des Eglises plus riches permettent aux Eglises plus pauvres de subvenir aux frais de leur fonctionnement.
4) L’offrande et le culte
Il est intéressant de noter que le mot que l’apôtre Paul utilise dans son appel à la solidarité avec les pauvres de l’Eglise de Jérusalem est « leitourgia ». Nous avons traduit ce mot par « collecte », mais « liturgie » serait mieux. A l’origine le mot grec « leitourgia » veut dire « service ». Mais qu’est-ce que nous disons d’autre quand nous parlons du culte ? On dit « un service à l’Eglise ». Et ce culte, ou « service » au temple comporte une « liturgie ». Pour dire que la collecte, on ne peut pas la dissocier du « service » de l’Eglise et de sa liturgie. Et c’est ici qu’à nouveau j’aimerais citer Daniel Marguerat ( Dieu et l’argent) : « On saisit dès lors pourquoi l’acte d’offrande a trouvé son emplacement classique au sein même de la célébration chrétienne. La collecte ne répond pas seulement à une nécessité d’ordre matériel ; elle est un geste cultuel, qui exprime la foi des croyants au même titre que les autres gestes de la célébration ; chant, prière, écoute de la Parole ou partage du pain et du vin. On peut dire que l’offrande est l’action de grâce que le croyant fait monter du fond de son porte-monnaie. » J’en conclus que, tant pour l’animation financière que pour la gestion financière, ce lien entre l’offrande et le culte – moment central de la vie de l’Eglise – ne doit jamais être perdu de vue. L’appel aux dons se fait en premier lieu lors du culte, les autres appels par d’autres moyens ne sont que des dérivés. Et c’est pareil pour l’information concernant la gestion des finances de l’Eglise. Il doit être clairement manifesté que l’offrande est un élément intégral du « service » rendu à Dieu : service de louange et de reconnaissance.
5) Mise en garde contre le pouvoir envoûtant de l’argent
L’offrande au temps de l’Ancien Testament se faisait en nature. Quand on y parle de « prémices » et de « dîmes », on y parle de bétail, de colombes, de blé etc. Notre offrande est généralement offrande d’argent. Et le phénomène argent est un phénomène hautement problématique. L’argent a permis à l’humanité de faire un bond en avant. Par lui, l’homme dans ses transactions, franchit bien des obstacles liés au temps et à l’espace. Mais parallèlement l’argent a toujours exercé sur l’homme un pouvoir d’envoûtement quasi-occulte. A tel point que Jésus a pu affirmer que l’argent est le grand rival de Dieu : tu serviras soit l’argent soit Dieu, tu ne peux servir deux maîtres à la fois. L’argent, c’est léger, c’est même devenu immatériel. Mille vaches, c’est tout un paysage, ce n’est pas évident de stocker cela, de les caser, donc ça a l’air énorme ; mais de petites pièces d’argent, ou des simples chiffres sur un relevé bancaire, tu peux en avoir des millions, aucun problème de stockage. Mille vaches, c’est concret, c’est matériel, on est lié à ces bêtes ; un million d’Euros à la banque, c’est presque virtuel, cela fait rêver - rêves de toute-puissance : je peux faire ceci, je peux faire cela.... L’argent attise notre soif de puissance. Les vaches feront des petits, le blé donnera des semences qu’on peut réutiliser l’année prochaine (pour combien de temps encore, avant que Monsanto n’ait breveté toute la vie sur notre planète ?), la nature nous assure de notre futur, certes, mais jamais complètement : de temps à autre des épidémies exterminent les bêtes, des phénomènes climatiques sont cause de mauvais récoltes. Par contre l’argent, les chiffres à la banque, voilà une bien meilleure assurance (encore que…). L’argent conforte notre peur de l’avenir et notre égoïsme. Jésus nous avertit dans sa parabole du riche insensé qui démolit ses greniers pour en bâtir de plus grands afin d’y stocker tout son blé et ses biens, et qui se dit à lui-même : « te voilà avec quantité de bien en réserve pour de longues années » (Luc 12, 16 – 21). Le pauvre, il peut mourir d’un jour à l’autre, alors à quoi bon toute cette richesse immobilisée ?
L’offrande à l’Eglise se fait généralement en argent. C’est pourquoi une « théologie de l’offrande » doit comporter une réflexion sur le phénomène argent qui est un phénomène ambigu. Il se peut qu’en gérant l’argent de l’Eglise, la plus grande tentation est d’en faire un outil d’évaluation, de jugement. Car c’est là un autre piège que l’argent en tant qu’argent nous tend : c’est qu’il nous amène trop souvent à le considérer comme une mesure, voir la mesure des choses. C’est si clair, si précis, ces chiffres - si précis oui, et si abstrait. Dans l’économie en général, on peut se poser la question : est-que les prix doivent être le seul critère qui nous permet d’évaluer la valeur des choses ? Attention à ce que dans l’Eglise nous ne nous conformions pas à cette tendance : la seule mesure, le seul critère, c’est Dieu qui s’est révélé en la personne de Jésus-Christ. Je me rappelle un Synode où quelqu’un prenait la parole et disait : mon père, qui était trésorier de paroisse disait toujours : une bonne prédication se mesure au montant de la collecte qui suit. Bien sûr, il n’avait rien compris. Etrange pouvoir envoûtant de l’argent, il faut en être bien conscient.
Toutefois, ce n’est pas là le dernier mot que nous apporte la Bible sur le sujet. Lisez le récit de Zachée, lisez la parabole du gérant malhonnête : l’argent est un phénomène problématique, certes, mais comme toute réalité de ce monde, il est appelé à être destiné au service de Dieu et à travers lui de l’homme. Il n’y a qu’un maître, c’est Dieu. A côté de lui toute réalité est ambigüe puisque tachée par le péché. Pourtant, c’est avec ces réalités, qui ont toujours leur côté malpropre, que Dieu dans sa grâce nous permet d’exprimer notre reconnaissance. C’est ainsi que ces réalités deviennent pures. C’est ainsi qu’on « blanchit » l’argent. L’offrande de l’argent est un acte par lequel l’argent se trouve frustré du pouvoir dont on l’avait investi, on peut appeler cela – avec Jacques Ellul – une « profanation » de l’argent. Profaner l’argent, en en faisant un simple mais nécessaire outil de sanctification.
Ce travail a servi comme introduction à une discussion à l'occasion de la réunion des trésoriers des paroisses de l'Eglise protestante unie de France en region PACCA, qui eut lieu à Sanary le 20 septembre 2014

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