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Toute austérité n'est pas protestante


Par Caspar Visser 't Hooft/René Blanc

L’austérité des « plans d’austérité » d’aujourd’hui n’a strictement rien à voir avec l’austérité qu’on attribue souvent aux protestants. Celle-ci a toujours profité à l’économie réelle, là où les « plans d’austérité » d’aujourd’hui sont dictés par une politique favorable au monde financier et à la spéculation. Cette spéculation peut être qualifiée comme économie virtuelle - virtualité qui s'est accentuée à cause du développement des outils de trading de haute fréquence.

Les plans d’austérité mis en place par les gouvernements Européens découlent de l’impératif formulé par l’Europe de ramener les déficits publics des Etats-membres à 3% du PIB. Avec cela la dette publique des pays-membres ne doit pas dépasser les 60% du PIB. Il s’agit donc pour les Etats de réduire leurs dettes. D’où viennent ces dettes? Par une dépense qui dépasse le revenu? Certes, mais en partie seulement. Depuis le traité de Maastricht (1992) – traité qui a été confirmé à Lisbonne en 2009 - les Etats de l’Union Européenne se sont obligés d’emprunter aux instances financières privées, ce qui veut dire qu’au remboursement de l’emprunt va s’ajouter un intérêt à payer (voir l’article 123 du traité de Lisbonne). Avant cela l’Etat français, par exemple, pouvait emprunter à sa Banque Centrale de façon quasi-gratuite. Ainsi il « créait de la monnaie ». Ceci est devenu impossible, la Banque Centrale de France est, depuis le traité de Maastricht, devenue un simple organe de la Banque Centrale Européenne (BCE). C’est elle qui désormais définit la politique monétaire de la zone Euro, en s’orientant sur ce qui a été décidé à Maastricht et à Lisbonne. Or, la BCE a été déclarée « indépendante », façon de dire qu’aucun Etat ne peut demander d’elle des emprunts gratuits. Désormais les dettes des Etats risquent d’augmenter de façon considérable par le seul fait des intérêts à payer. Concrètement, pour rembourser leurs dettes, les Etats ont dû faire des nouveaux emprunts contre intérêt : début d’un cercle vicieux. Depuis 1973 (date où l’Etat français a commencé à se financer sur le marché, bien que cela ne soit pas encore obligatoire), le montant de la seule tranche des intérêts qu’elle a dû payer s’élève à 1400 milliards Euros.

D’où cette interdiction auto-imposée de créer de la monnaie? Une raison majeure avancée est le risque d’inflation que cela entraine. Afin de stimuler la croissance, par des investissements importants dans les secteurs publics qu’ils contrôlent, les Etats seraient tentés de créer une telle quantité de monnaie (en empruntant gratuitement auprès de leurs Banques Centrales), que cette monnaie dévaluerait. La profusion d'un même produit entraine la baisse de sa valeur. Une inflation galopante a des effets désastreux pour l’économie ; c’est ce que l’histoire a montré. Par contre, une politique de relance de l’économie financée grâce à une création de monnaie bien maîtrisée et responsable peut être bénéfique pour le salarié. Les salaires seront indexés sur l’inflation, et comme cette politique de stimulation favorise l’embauche, on ne pourra pas opposer aux revendications du salarié le spectre du chômage. A l’inverse, une telle politique de relance par la création de monnaie, avec l’inflation qui en résulte, a des conséquences négatives pour l’épargnant. Il voit la valeur de sa cagnotte diminuer. Le capital est désavantagé.

L’interdiction de créer de la monnaie, c’est-à-dire d’emprunter gratuitement auprès d’une Banque Centrale, est doublement avantageux pour les banques (privées), pour la finance en général, ce qui veut dire pour la spéculation et pour ce qu’on appelle « l’économie virtuelle ». Voilà que de nouveaux clients importants viennent frapper aux portes des instances financières privées : les Etats. On leur prête contre des intérêts, la belle aubaine! Avec cela, les fonds que les banques gardent en dépôt gardent leur valeur, ce qui ne peut être que bénéfique pour les elles. En effet, par l’interdiction de créer de la monnaie le danger de l’inflation est écarté. Cette politique d’interdiction de création de monnaie constitue un des piliers de la pensée « néo-libérale ». Selon cette pensée, le marché libre est destiné à devenir le moteur de tous les domaines de la réalité. C’était cette pensée-là qui, avec la peur de l’inflation, inspira la politique Européenne visant à soumettre les Etats aux marchés financiers.

Les pauvres Etats! La somme qu’ils sont obligés de rembourser aux banques augmente chaque année à cause des intérêts qui s’y ajoutent et qui, eux aussi, s’accroissent. Voilà pourquoi les Etats (ou plutôt les gouvernements actuels) se croient obligés de dresser des plans « d’austérité » et de couper dans les dépenses publiques. Austérité qui profite aux banques et à la spéculation.

Cette austérité n’a strictement rien à voir avec l’austérité qu’on attribue souvent aux protestants. L’austérité protestante est le fruit de cet appel à une vie sobre, frugale que, selon leur foi, Dieu leur adresse. Comme ils perçoivent la grâce de Dieu dans les choses les plus simples, ils n’ont pas besoin de chercher leur bonheur dans le luxe, le faste, le superflu. Avec cela, ils croient que Dieu les appelle à une vie laborieuse. Quand on regarde l’histoire, ceci a eu comme conséquence que les protestants gagnaient souvent plus qu’ils ne dépensaient. C’est ici que la fameuse thèse de Max Weber selon lequel il existe un lien fort entre le protestantisme et le capitalisme moderne se révèle tout-à-fait pertinente: les industriels protestants, au lieu de dépenser leurs profits, les réinvestissaient dans leurs entreprises (capital productif et humain). Qu’en faire d’autre, puisque une vie dépensière et oisive était mal vue dans leur communauté? Voilà donc cette austérité qu’on dit si typiquement protestante, mais ce n’était pas la banque, la finance, la spéculation qui en profitait (malgré la présence d’une « banque protestante »), c’était l’entreprise, donc « l’économie réelle ». On ne s’asseyait pas sur sa cagnotte, on ne spéculait pas, on faisait circuler l’argent, on créait de la richesse (à ne pas confondre avec l'accumulation d'argent pour une petite minorité). L'argent, pour les industriels protestants, était donc plus un "outil" qu'un fin en soi.

Par contre, Max Weber fait tort au protestantisme quand il explique l’émergence du capitalisme moderne comme étant, en deuxième lieu, causée par cette autre idée selon lui typiquement protestante: la prospérité de l’individu comme signe de bénédiction de Dieu. Cette « théologie de la prospérité » par lequel l’on peut justifier bien des torts (le simple constat du succès justifierait les moyens employés pour y parvenir), est le propre du born-again christianisme originaire de l’Amérique du Nord et qui d’un point de vue historique n’est autre qu’un dérive du puritanisme, lui-même branche parmi d’autres du protestantisme calviniste. Or voilà ce qui peut surprendre: ces born-again chrétiens sont les adeptes les plus farouches du dogme extrémiste néo-libéral à l’origine de la politique d’austérité de nos Etats. En effet, quoi de plus contraire au libéralisme qu’un Etat qui peut lui-même créer de la monnaie (en empruntant gratuitement à une banque centrale qu’elle contrôle)? L’obligation d’emprunter aux banques privées (contre intérêt) était bien sûr une façon de soumettre les Etats à la logique du marché. Pour les born-again chrétiens, il est d’une importance vitale que toute la réalité soit régit par la concurrence du marché, puisqu’il n’y a que là que, selon eux, une réussite individuelle peut se réaliser. Et comment être sûr que l’on soit béni par Dieu si ce n’est par une réussite sous forme d’une prospérité acquise sur le marché?

Il ne s’agit là que d’un « protestantisme » bâtard. Le chrétien protestant, s'il est cohérent dans sa foi, ne mesurera jamais la grâce qu’il croit recevoir de la part de Dieu à l’aune de ses réussites économiques. Trop conscient de sa propre faiblesse, il se méfiera de tout esprit triomphaliste. Il est appelé à croire en un Dieu qui bouscule les évidences, en nous ouvrant les yeux sur la réalité de ceux que nos systèmes économiques écrasent.

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