L'évangile appelle à une critique du système économique, non pas à quelques arrangements
- casparvth
- 31 mars 2014
- 3 min de lecture

Par René Blanc/Caspar Visser 't Hooft
Nous saluons l'existence et le travail des « Entrepreneurs et dirigeants chrétiens » (EDC), mais ce n'est pas sans grandes réserves que nous accueillons certains propos de son ancien président, M. Robert Leblanc, tels qu'ils figurent dans son interview avec Frédéric Hastings dans fait religieux.com du 21 mars 2014. Les Entrepreneurs et dirigeants chrétiens en sont arrivés à l'idée d'être « décideurs en vérité ». Et Robert Leblanc d'ajouter : « Être en vérité est une attitude importante dans un monde où la communication est très présente. Cela doit être un objectif vers lequel il faut tendre, c'est absolument essentiel en ce moment.
»Nous savons qu'il n'est pas facile d'exprimer de façon succincte, comme cela est exigé par la presse, le résultat de réflexions sans doute poussées et nuancées, il n'en demeure pas moins que la formulation de M. Leblanc nous semble particulièrement malheureuse. L'appel à être « en vérité » n'est pas conditionné par des situations sociologiques ou historiques particulières. Il concerne toutes les situations, ça l'a toujours été, cela le sera toujours. Parler d'une « attitude » et d'un « objectif vers lequel il faut tendre », c'est demeurer loin en dessous de l'exigence évangélique, qui d'ailleurs ne relève pas du langage publicitaire et mathématique si cher à nos économistes. Reconnaître à demi-mot que communiquer aujourd'hui, c'est tout sauf être en vérité, c'est être lucide sur le fait que la communication est une propagande au service d'une cause dont les finalités ne sont pas si avouables que cela.
Or la foi chrétienne est exigeante. Aucune responsabilité dans la vie concrète, si lourde et complexe qu'elle soit, ne peut être une excuse qui permet d'affaiblir cette exigence en faisant des concessions - au système économique en l'occurrence. Relier le message chrétien avec le monde de l'entreprise tel que nous le connaissons aujourd'hui n'est certes pas facile. Robert Leblanc l'avoue quand il répond à la question de savoir quels sont les repères que l'enseignement social de l'Eglise pourrait apporter à un dirigeant chrétien. Mais l'on aurait pu aussi s'attendre à une critique du système économique global de notre époque, cause de bien des dérives au sein du monde de l'entreprise. Car à partir d'un certain seuil, l'écart entre le message chrétien et une situation politico-économique donnée ne peut plus être aboli par des « acrobaties ». C'est là qu'une critique prophétique s'impose. Par exemple, peut-on parler de bien commun en défendant un système basé de façon si massive sur la concurrence, c'est-à-dire qui promeut l'idée que l'un gagne quand l'autre perd. Dans les propos de Robert Leblanc toute critique est absente.
La théologie de la libération - ce fleuron de la théologie catholique - a-t-elle été oubliée à un point où l'on en arrive à se réclamer de « l'enseignement social de l'Eglise » en proposant quelques arrangements ?
Robert Leblanc ne fait que défendre la politique du Medef, en se servant du label « chrétien ». Il suffit de lire ses propos sur le Pacte de responsabilité : il plaide pour des allègements de fiscalité de la part de l'État, et cela sans contreparties de la part des entreprises. Par là, il nous montre non seulement qu'il adhère totalement à un système économique responsable de bien des injustices, et cela au niveau mondial, mais aussi qu'il se range du côté de ceux qui en sont les gagnants. L'argument selon lequel de tels allègements au profit du patronat et des actionnaires favoriseraient les investissements étrangers est très douteux et contesté par de nombreux spécialistes.
Quoi qu'il en soit, ce parti-pris massif pour le système et pour ceux qui en profitent en premier lieu, nous semble aller directement à l'encontre de la parole du Christ qui nous appelle, ici et maintenant, et quel que soit notre situation, à militer en faveur des plus « faibles » de nos sociétés, quitte à chercher des moyens pacifiques pour changer un système injuste qui les écrase. Robert Leblanc a bien intériorisé les normes du système économique et est capable de justifier toutes les régressions environnementales et sociales actuelles au nom d'un intérêt bien compris d'une minorité de riches. De fait, il défend un système où l'égoïsme devient une valeur qui fait voir l'autre non comme un frère mais comme un concurrent, autrement dit un danger. Un système où l'accumulation sans fin est un objectif, quand bien même elle est condamnée par l'évangile (Luc 12, 13 – 21).
(Cette réponse parut dans fait-religieux.com, dans la rubrique Point-Contrepoint)
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