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  • casparvth

Une autre "loi de la maisonnée"









Sur 2 Samuel 6/Matthieu 21, 1 - 17



"Puis il fit distribuer au peuple, à toute la foule d'Israël, hommes et femmes, une galette, un gâteau de dattes et un gâteau de raisins" (2 Sam. 6, 19)


L’arche de Dieu n’était pas Dieu, mais ce n’était pas pour autant juste un emblème – comme l’est notre croix, emblème qui fait référence au Christ. Il est dit que sur l’arche « le nom de Seigneur avait été prononcé ». Ce que cela signifie ? Difficile de dire. L’arche était sacrée dans tous les sens du mot, à la fois dans le sens de « mis à part » et de « intouchable » pour l’homme profane. Et puis, là où était l’arche il y avait bénédiction, c’est pourquoi le roi David désire le récupérer et l’installer dans Jérusalem, la ville dont il avait fait sa capitale. Mais là où était l’arche, il pouvait aussi y avoir malédiction, il suffisait pour un profane, comme l’était le pauvre Ouzza, de la toucher pour qu’il soit frappé par Dieu. Au constat de ce malheur David eut très peur, c’est pourquoi il changeait d’avis : que surtout l’arche n’entre pas dans la ville, trop dangereux ! Et on installe l’arche dans la maison d’un certain Oved-Edom. Trois mois après, voilà qu’on on vient annoncer à David que les affaires de ce Oved-Edom avaient particulièrement prospéré, manifestement il avait été béni. Pourquoi ? Cela ne pouvait être à cause de l’arche qu’il abritait dans sa maison. Rassuré, David décide de lui reprendre l’arche, et de poursuivre sa démarche qui est de faire entrer l’arche dans sa ville, et de l’installer dans la tente qu’il avait préparé pour elle. Cette tente aurait ainsi la même fonction qu’aura plus tard, sous Salomon et ses descendants, le temple. On peut d’ailleurs supposer que le temple, construit sous Salomon, avait la même forme que la tente, mais en plus grand, et – bien sûr – en pierre. Le temple qui, avec l’arche qu’il contient, signifie la présence de Dieu.


Et la voilà, l’arche qui parmi les ovations et les sons du cor, fait son entrée à Jérusalem. Et devant l’arche David qui danse. Est-ce que cela ne nous fait pas penser au récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem ? Ici l’arche sur lequel le nom du Seigneur avait été prononcé, là Jésus, celui que Dieu lui-même avait appelé « mon Fils bien aimé ». Ici David, le roi, là Jésus que les foules acclament comme « Fils de David ». Vous voyez, on dirait qu’à la fois l’arche et David, pris ensemble, préfigurent le seul Jésus qui entre dans la capitale. Ici des ovations et des sons de cor, là des cris d’allégresse, des branches et des vêtements qu’on dépose en signe d’honneur devant Jésus sur son âne. Et puis, ici l’on se dirige vers une tente qui sera le modèle du temple que construira Salomon, le fils de David, là Jésus qui, une fois dans Jérusalem, entre dans ce même temple. Et enfin – ah non, là ils se passent deux choses différentes. Ce n’est plus pareil. David bénit le peuple au nom du Seigneur, pour ensuite distribuer à tout le peuple, à toute la foule d’Israël, hommes et femmes, un gâteau de dattes et un gâteau de raisins. Tandis que Jésus, qu’est-ce qu’il fait ? Il chasse du temple tous ceux qui y faisaient du trafic. Il renverse les tables des changeurs et les sièges des vendeurs de colombes… Deux choses différentes ? Peut-être pas si différentes que cela, quand on s’y arrête…


Rappelons-nous un peu le message qu’à travers ses paraboles, ses gestes, ses miracles, ses guérisons, Jésus n’a cessé de transmettre. N’est-ce pas de la générosité de Dieu qu’il parlait ? D’un royaume qu’il a préparé pour les siens, un royaume où règne un esprit radicalement différent de celui du monde, où le calcul, le donnant-donnant, le compte-gouttes et les lèvres pincées ont fait place au don gratuit, au partage libre et souriant. Ce royaume promis, pourquoi ne pas l’appeler une autre « économie » – une autre « loi de la maisonnée », car c’est cela que le mot « économie » veut dire : loi de la maisonnée ? Oui économie, cela veut dire beaucoup plus que marché – ça, c’est une réduction tout-à-fait récente dans l’histoire… Une autre économie que celle de ce monde : rappelez-vous simplement la parabole des ouvriers de la onzième heure : le maître qui paye ceux qui avaient travaillé dans sa vigne seulement pendant une heure autant que ceux qui y avaient peiné toute la journée – tout en payant à ces derniers ce qu’il leur avait promis… Pensez au miracle de la multiplication des pains : sept pains, trois poissons, et une foule de quatre mille personnes est nourrie, il y a même des restes. Pensez à Jésus qui se mettait à table avec des personnes que les bien-pensants de l’époque méprisaient : par ce geste il voulait aussi passer un message. Pensez à tout cela, quand vous acclamez Jésus qui sur son âne entre dans sa capitale. Pensez à cela, quand vous le voyez chasser les marchands du temple. Et pensez aussi à ce que s’y était passé longtemps auparavant, au temps où le temple n’était encore qu’une tente, et au moment où le roi David y déposait l’arche sacré. Au nom du Seigneur il bénissait le peuple, et il faisait distribuer, pour chacun et chacune un gâteau de dattes et un gâteau de raisins. Là où il y a l’arche, là il y a Dieu. Là où il y a Dieu, il y a bénédiction. Là où est Dieu, il y a économie de partage et de générosité. Jésus n’a-t-il pas dû penser à ce bel épisode quand il montait au temple ? Quand il montant au tempe – pour y trouver quoi ? Pour y trouver des gens pour qui Dieu était devenu un business. O ! – ces pauvres gens, ces changeurs, ces vendeurs de colombes à sacrifier, ce n’était que du menu fretin. C’était la partie inférieure de tout un système économique qui s’était organisé autour du temple. L’idée était la suivante : pour que Dieu continue à combler son peuple de bénédictions, il fallut lui offrir des offrandes. Ces offrandes, comme par exemples les colombes, on les achetait sur place, avant de les confier aux prêtres, les seuls à pouvoir gérer les sacrifices et les holocaustes. Mais ceci n’est pas tout, petit-à-petit le temple avait acquis la fonction d’une banque, si ce n’est déjà par la conversion de monnaies locales, avec les bénéfices qu’on peut tirer de ce trafic. Le temple possédait aussi des terres que des personnes riches et pieuses lui avaient léguées. Le temple, c’était le gagne-pain d’une grande partie de la population de Jérusalem, car il fallait loger les pèlerins, il fallait les nourrir, il fallait leur vendre des souvenirs, qui leurs servaient comme preuves : voilà ce que j’ai acheté à Jérusalem quand j’y suis allé pour faire mon devoir de bon Juif pieux et pour offrir des offrandes à Dieu. Eh oui, car la bénédiction de Dieu, cela relève du donnant-donnant, et du calcul : comment donner le moins possible pour bénéficier du maximum de bénédictions ? Le coût minimum pour le maximum de profit. L’économie de ce monde…


On n’en était pas encore là à l’ancien temps de David. Il suffit que l’arche soit quelque part, c’est-à-dire il suffit que Dieu soit quelque part pour qu’il y ait bénédiction. Qu’est-ce qu’il avait fait pour être béni, le païen Obed-Edom ? Rien, il ne faisait qu’abriter l’arche dans sa maison. Certes, David offre l’holocauste et les sacrifices de paix quand il installe l’arche dans la tente - qui sera plus tard le temple - mais nulle part dans le texte il est suggéré qu’il voyait cela comme condition pour pouvoir recevoir des bénédictions. C’est la simple présence de Dieu, représentée par l’arche, qui est source de bénédiction. C’est ce que David signifie quand il distribue des gâteaux de dattes et de raisins. Jésus a dû y penser, et c’est pour cela qu’il chassait les trafiquants du temple. Et le système ne le lui a jamais pardonné. D’abord il fallait faire le vide, pour que le temple, lieu signifiant la présence de Dieu, devienne à nouveau ce qu’il était quand l’arche, sur laquelle le nom de Dieu avait été prononcé y entrait : lieu de bénédictions désintéressées, lieu où se manifeste la générosité de Dieu, lieu de partage et du don gratuit. Et concrètement, cela veut dire quoi ? Avec David, c’étaient les gâteaux de dattes et de raisins. Avec Jésus, c’était le retour de tous ceux que le système économique de ce monde, dont l’esprit s’était infiltré partout - qui avait pris possession même du culte de Dieu - exclut. Les aveugles et les boiteux : à l’époque ils n’avaient pas le droit d’entrer au temple. Les enfants, qui représentent les petits en général. Les prêtres veulent les faire taire, Jésus leur dit de les laisser chanter. Les mêmes chez qui Jésus aimait s’attabler, les méprisés, les rejetés, il les appelle dans ce lieu qui signifie la présence de Dieu, pour y recevoir ses bénédictions – des gâteaux de dattes, des gâteaux de raisins sous forme de guérisons. Oui, il fallait bien chasser l’économie de ce monde, pour nous rappeler ce que cela veut dire que d’être dans la présence de Dieu : c’est d’être bénéficiaire de la bénédiction d’un Dieu généreux, d’un Dieu d’amour.


Et pour nous aujourd’hui, qu’est-ce que tout cela veut dire ? Eh bien, c’est déjà – et c’est énorme ! – de se rappeler qu’il n’y a pas qu’une seule économie, à savoir celle de ce monde, celle du donnant-donnant, du calcul – calculer le moindre coût pour le plus grand bénéfice. Mais qu’il y en a aussi une autre, celle du don, du partage, de la générosité. Y croire, est-ce bisounours ? Non, ça ne l’est pas. Bien sûr, nous vivons dans ce monde, et ce monde vit sous le signe d’une économie de ce monde. Mais il y a une espace où nous sommes appelés à vivre l’autre économie, et cette espace est l’Eglise. Mais l’Eglise n’est pas un groupe de gens qui frileusement restent entre eux. L’autre économie, celle que nous sommes appelés à vivre dans l’Eglise, veut aussi déborder au-delà de de l’Eglise – d’ailleurs, où sont les frontières de l’Eglise ? Ne confessons-nous pas notre foi en l’Eglise visible et invisible ? Non, là où nous sommes, en Eglise, mais aussi dans le monde, nous sommes témoins de la présence de Dieu, du Dieu généreux. Comment vivre cela ? Comment être témoins ? Comment vivre cette tension entre économie de la présence de Dieu et économie de ce monde ? C’est là la grande question que nous sommes appelés à nous poser chaque jour à nouveau. Attention à toute fausse quiétude ! Mais nous ne sommes pas seuls ! Ensemble nous trouverons des moyens. C’est la promesse qui nous fait avancer, qui nous fait vivre.


Ma maison sera appelée maison de prière – disait Jésus, avant de combler de bénédictions, au nom du Dieu généreux, du Dieu d’amour, des gens humbles et petits, des aveugles et des boiteux, des enfants…


C. Visser 't Hooft, pasteur




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