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Le scandale du commerce des armes


Par Caspar Visser 't Hooft

Il existe des incompatibilités. La voie du Christ et le commerce d’armes de guerre sont des choses qui s’excluent. La voie du Christ que les chrétiens sont appelés à suivre se situe sous le signe d’une parole qui dit « tu ne tueras point». Dieu est un Dieu de vie, non pas de mort. Comment en tant que chrétiens réagir face à ce commerce d’armes de guerre en plein boom (on parle de ce marché mondial en termes de centaines de milliards) ? Il me semble qu’un premier « geste », ce serait de refuser de participer à cet enthousiasme auquel certains médias nous invitent chaque fois que la France arrive à décrocher un contrat juteux, notamment avec un pays comme l’Arabie Saoudite ou un autre pétromonarchie du Golfe, qui lui permet d’encaisser quelques milliards en échange de quelques dizaines d’avions Rafales, de Mistrals ou que sais-je. A ce jour, il parait que le total des ventes d’armes fabriquées en France avoisine les 16 à 17 milliards d’euros. Chiffre qui bat tous les records. Depuis trois ans, ces exportations massives d’armes ont généré en France de l’emploi, on parle de 60.000 postes. C’est bien de le savoir, comme il est intéressant de savoir qu’en cette année 2015 la France est en passe de devenir le deuxième exportateur d’armement du monde, mais faut-il vraiment s’en réjouir ? Qu’une économie qui par ailleurs piétine « se rattrape » par la vente d’instruments de mort et de destruction, c’est signe d’un échec. Echec d’une société dans laquelle le cynisme, l’indifférence et le désengagement généralisés ont remplacé le souci de l’éthique. Et en ce qui concerne le gouvernement, qu’il n’arrive pas à redresser la barre, on pourrait encore le lui pardonner en ces temps de crise, mais qu’il se fasse démarcheur de l’industrie de l’armement et qu’il soumette sa diplomatie à cette démarche, voilà ce qui est déplorable.


Le commerce des armes : paradoxe du modèle libéral


C’est paradoxal, ce phénomène du commerce d’armes de guerre au sein de notre monde devenu « marché libre ». Certes, la concurrence pure et parfaite n’existe pas, pour cela le marché mondial que les idéologues du néolibéralisme voudraient libre connait encore trop d’entraves. Le commerce des armes, par exemple, est soumis à des restrictions et des contrôles. Il suffit de penser au traité sur le commerce des armes (TCA), que la plupart des états ont signé et qui est entré en vigueur le 24 décembre 2014. Ce traité vise une transparence du commerce des armes – chose qui devrait plutôt favoriser la « saine » concurrence, d’ailleurs – et une interdiction de vente d’armes à des gouvernements ou des groupes rebelles qui pourraient s’en servir pour commettre des crimes contre l’humanité et des attaques dirigées contre des civils. Ce traité est une excellente chose, le temps nous montrera si son impact est réel. Il n’en demeure pas moins que le commerce des armes fait partie du marché mondial et que ce marché est censé fonctionner grâce au mécanisme autorégulateur de la libre concurrence. Oui, et c’est là que réside le paradoxe. Car pour les premiers penseurs du libéralisme, le libre marché était justement une garantie contre la guerre, ou pour être plus précis contre un commerce international marqué par des interventions d’états souvent musclées et guerrières. Pour rendre compte de la doctrine libérale on se réfère souvent aux thèses d’Adam Smith tels qu’il les a formulées dans son ouvrage « La richesse des nations ». On a retenu de lui l’idée selon laquelle aucun système n’était aussi propice à l’émergence d’une société harmonieuse qu’un marché libre et sans entraves. C’était comme si une « main invisible » agissait : l’homme n’avait qu’à poursuivre ses propres intérêts, le mécanisme de la concurrence allait à la longue instaurer cette situation de bien-être global favorable à la paix. Les premiers penseurs libéraux aimaient parler du « doux commerce » (terme inventé par Montesqueu) - doux dès lors qu’on laissait le marché libre - en l’opposant aux politiques volontaristes des états, c’est-à-dire à leur tendance à intervenir dans la dynamique du marché, à protéger, à réguler, quitte à s’imposer par la force des armes, en somme en faisant la guerre. Au fond, les penseurs libéraux avaient une vision pessimiste de l’homme, selon eux la volonté de l’homme avait naturellement tendance à pencher vers la violence. C’est pourquoi ils appellaient les hommes à s’abandonner au mécanisme « neutre » du marché qui se charge de faire sortir de leur égoïsme inné un bien pour toute la société. En somme, le marché libre comme moyen pour enrayer les guerres. Mais si ce marché libre comporte la vente et l’achat d’armes de guerre, comme c’est le cas aujourd’hui – dans des proportions sans précédent – ne sommes-nous pas là devant une situation tout-à-fait paradoxale ? Les armes de guerre servent à faire la guerre. Le libre commerce contient, voire abolit les guerres. Alors quoi et comment quand il s’agit du commerce des armes ?…


Oui, quand on compare la théorie des penseurs libéraux à la pratique du marché libre d’aujourd’hui, on est en plein paradoxe. Est-ce que cela veut dire que la théorie est fausse ? A mon sens le commerce d’armes est à considérer comme un révélateur. La pratique du marché libre tel que nous la connaissons trahit la belle théorie du « doux commerce ». Il est certes possible qu’aux beaux temps du premier libéralisme le marché ait pu contribuer à adoucir les mœurs, l’essor du commerce d’armes nous révèle que le marché libre de notre époque porte en lui le germe de son propre anéantissement, en tous cas de l’anéantissement de sa figure idéale à laquelle les idéologues néolibéraux s’obstinent à se référer. Le commerce des armes nous montre que le libéralisme, dans sa version actuelle, c’est-à-dire néolibérale, a dépassé ses limites et qu’il en est arrivé à se mordre sa propre queue. Ceci devrait nous inquiéter, car qu’on le veuille ou non, le libéralisme, même à l’époque où il était tempéré par un état providence, a été l’air que nous respirions durant deux siècles.


Le commerce des armes et le chrétien


C’est une chose que de fabriquer des armes pour la défense de son propre pays. C’est une chose aussi que de travailler dans un secteur qui fabrique des produits qui peuvent être détournés de leur usage premier pour qu’on s’en serve pour la fabrication d’armes. C’est une autre chose que de commercialiser les armes, c’est-à-dire d’en faire un moyen pour s’enrichir. Là il convient de dire que le commerce des armes n’est pas un commerce comme les autres. Les armes sont des instruments de mort et de destruction, quand on les achète, c’est pour s’en servir. Tirer profit des guerres des autres, voilà qui doit être fermement condamné par tous ceux qui suivent la voie du Christ, celui qui appelait à l’amour du prochain. Celui qui prend l’épée périra par l’épée – disait-il. Je pense qu’on pourrait ajouter à cela : celui qui vend l’épée périra par l’épée.



Caspar Visser 't Hooft est pasteur de l'Eglise protestante unie de France, en poste sur la paroisse d'Orange-Carpentras. Il est membre du groupe Bible et économie




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