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  • casparvth

Le berger et les brigands

Sur Jean 10, 1 - 10

« Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des brigands, mais les brebis ne les ont pas écoutés » - dit Jésus. N’est-ce pas là une situation que nous connaissons bien : nous avons entendu tant de choses, tant de soi-disant vérités, tant d’opinions, tant de slogans, tant d’appels qui nous étaient adressés… Nous avons écouté avec une certaine bienveillance - nous sommes des gens bien élevés, ouverts d’esprit - nous avons parfois été séduits, presque séduits, et pourtant c’est comme si à chaque fois quelque chose nous retenait, nous empêchait de pleinement souscrire à ces vérités débitées, ces opinions, ces slogans. Quelque choses nous en empêchait, il y avait toujours une petite réserve : vous avez beau dire – mais ce n’est pas tout-à-fait cela. Et cet état d’esprit nous rend un peu seuls, nous isole. Regardez tous ces gens qui sans plus s’enthousiasment pour telle ou telle cause, se jettent dans telle ou telle distraction. Sans réserve, ils se donnent corps et âme. On les admire parfois, on les jalouse un peu. Que c’est lassant, que de rester toujours sur le bord de la route, avec ses réserves, ses critiques qui nous empêchent de suivre le cortège joyeux et bruyant qui passe, qui nous empêchent d’adhérer à ces slogans qui sortent des haut-parleurs posés sur les voitures qui accompagnent le cortège. Ca hurle dans le stade, dans la grande salle de conférences – faut-il que je fasse semblant d’être aussi débordant d’enthousiasme que les autres? Le seul fait qu’on se pose cette question veut dire qu’on s’est retiré de la foule, qu’on s’est isolé, la spontanéité nous manque, quelque chose en nous se rebiffe… Et nous voilà dans notre petit coin, notre petit enclos. Je parle en images, mais vous voyez ce que je veux dire. Oui, nous avons des réserves, c’est parce que nous sommes dans l’attente ? Nous attendons une voix qui nous dira enfin la vérité, toute la vérité, une voix à laquelle on peut se fier, complètement. L’Evangile, elle aussi parle en images : c’est la voix du berger qui prend soin de nous ou – autre métaphore – la voix qui est la porte qui nous mène vers l’abondance de la vie. Non, les autres, qui sont venus avant, nous ne les avons pas écoutés, quelque chose en nous nous en empêchait. C’est parce que nous attendions la voix de celui qui seul peut nous sauver. Nous étions comme le vieux Siméon au temple, et comme la vieille prophétesse Anne. Ils avaient attendu le salut d’Israël tout au long de leurs longues vies. Vous le trouverez ici, votre salut ! – disaient les uns. Non, votre salut se trouve là ! – disaient d’autres. Ce n’est que quand on leur présente l’enfant Jésus qu’ils savent qu’enfin le salut est venu pour nous, sur notre terre. « Maintenant je peux partir en paix » - dit Siméon. Ils avaient attendu…

Des voleurs et des brigands – oui, ces autres voix qui savent enthousiasmer tant d’autres, ce sont des voix de voleurs et de brigands. Nous ne les avions pas reconnus comme la voix du berger. Ce sont des voix d’étrangers. Pourquoi voleurs, pourquoi brigands ? Parce qu’ils prétendent dire la vérité, prétendent nous apporter le salut, là où seul le berger, Jésus-Christ, peut l’apporter. Des menteurs, alors ? Oui, et des voleurs, des brigands : « venus pour tuer, pour voler, pour perdre » – dit notre passage. C’est qu’ils essayent de nous convaincre que le salut s’opère par le moyen de calculs abstraits. Et comme aucun calcul abstrait ne peut 100% prendre en compte la réalité humaine dans toute sa diversité – elle est aussi diverse qu’il y a d’hommes – ce calcul fait toujours des victimes : il y en a toujours qu’on sacrifie afin que le salut escompté s’accorde avec le calcul et le confirme. Dommage collatéral. C’est qu’on était dans l’abstraction, dans l’idéologie, car qu’est ce qui fait d’une proposition une idéologie ? C’est qu’on fait des coupes dans la réalité concrète afin de la faire coïncider avec l’idée. Ces coupes, voilà en général des sacrifices d’hommes. Oui, c’est dans ce sens que ces autres voix sont des voix de voleurs, de brigands : elles promettent un salut qui passe par-dessus les cadavres de ceux qu’on a sacrifie afin d’atteindre ce soi-disant salut. Voleurs, brigands : ils volent des vies, ils tuent, font perdre. N’est-ce pas toujours pareil ? On l’a vu dans l’histoire récente, on le voit toujours. Prenons le communisme. C’est sur papier qu’on dresse le plan d’une nouvelle société sans castes, sans parasites, sans capital. Beau calcul abstrait. Vous savez ce que la mise en place de cette société a couté dans de nombreux pays. Les hommes sacrifiés se comptent par millions. La fin justifie les moyens ? Jamais ! Et aujourd’hui ? Notre société mondialisée dominée par cette idéologie qu’on appelle « néo-libérale » ? Cette idéologie se fonde sur l’idée selon laquelle le jeu de la concurrence dans un marché libre à la longue créera un équilibre qui à son tour engendrera le bonheur du plus grand nombre. C’est la fameuse idée de la main invisible. Donc privatisations, dérégulations : laissez le marché libre, et que toute la réalité soit régie par la logique de la concurrence ! Non, malgré les promesses de beaucoup d’économistes, cela ne pourra marcher. Cette course à la rentabilité, à l’efficacité, à la performance, que le jeu de la concurrence exige, avec comme seule critère le prix, cela aussi fait des victimes. Il y en a là aussi qu’on sacrifie. On les appelle les « losers ». Non, une harmonie pour demain ne se justifie pas par les victimes d’une concurrence qui soi-disant y mènerait. Nous ne pouvons acclamer sans réserve les chantres de la globalisation et de la libération des marchés, comme nous ne pouvons totalement adhérer à aucune idéologie. Pourquoi ? Parce que les voix de ceux qui les préconisent ne sont pas la voix de berger, qui est celui qui nous « connaît chacun par notre nom », comme il est dit dans notre passage. Voilà donc ce qui fait toute la différence entre les voix des étrangers, voleurs et brigands, et la voix du berger à qui nous appartenons. Le berger ne sacrifie personne à un projet abstrait, si beau qu’il se présente sur le papier. Il ne nous considère jamais comme des chiffres, il ne fera pas de statistiques, il ne calcule pas. Il nous connaît chacun de nous, nous appelle chacun de nous par notre nom, et c’est là qu’enfin nous reconnaissons la voix de celui qui seul nous sauve, de celui qui est notre salut. Il ne me compte pas – non, pour lui je compte. Enfin, ces réserves qui me rendaient si seul dans la foule bruyante s’envolent, enfin je peux sortir de ce petit coin, cet enclos dans lequel je m’étais isolé avec quelques âmes sœurs. L’attente était longue. Et il faisait sombre dans l’enclos. Mais c’est à sa voix qu’on le reconnaît. Enfin le berger. Il entre par la porte, naturellement, souverainement, comme quelqu’un qui vient chez lui. Pour nous mener dehors, chacun de nous – toi, Jean – toi, Jacques – toi, Pierre – vers la liberté, les pâturages, vers la nourriture, vers la vie – la vie en abondance.

Et nous voilà, désormais, sur le chemin, d’un pâturage vers l’autre, au grand air. Et lui, le berger, marche devant. Quel bonheur d’avoir un guide sur lequel nous pouvons compter. Il nous guide. Il nous guide dans nos choix de tous les jours. Il nous guide aussi quand nous assumons notre responsabilité de citoyens et que nous avons à choisir entre programmes politiques – et qui dit politique dit toujours idéologie. Car nous l’avions toujours quelque part ressenti, mais maintenant nous le comprenons pleinement, le critère qui doit toujours animer nos choix c’est qu’aucune finalité ne justifie le sacrifice si ce n’est d’un seul homme. Car chaque homme est aussi précieux aux yeux de Dieu que nous le sommes, chacun de nous, aux yeux de notre berger. Certes, dans le concret de notre monde sous l’emprise du mal, c’est toujours choisir pour le moindre mal. Nous sommes toujours en chemin. Mais notre berger marche devant, lui dont nous savons qu’il s’est sacrifié lui-même afin que nous n’ayons plus à sacrifier qui que ce soit. Car la vie qu’il donne est abondante – si abondante qu’il y en a pour tout le monde.

C. Visser ‘t Hooft, pasteur

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