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La quasi-religion séculière

Par Hugues Lehnebach


La foi dit Tillich, est l’état d’être saisi par une préoccupation ultime, par une préoccupation qui rend provisoires toutes les autres préoccupations. Elle apporte la réponse à la question : quel est le sens de ma vie ? Cette préoccupation exige le sacrifice de toutes les autres options possibles. Généralement c’est le mot Dieu qui est utilisé pour désigner cette préoccupation ultime. Dans les religions qui ne se réfèrent pas à Dieu comme principe supérieur, cette préoccupation peut être la science, un idéal suprême, la nation, l’enrichissement. Un tel objet peut être considéré comme divin. C’est ce que Tillich, un des plus grands théologiens, appelle une quasi-religion. Il utilise le mot « quasi » parce qu’il y a une ressemblance avec le principe divin des religions pour lesquelles Dieu est l’absolu, la préoccupation essentielle.


Le fascisme, le nazisme, le stalinisme étaient des quasi-religions pour lesquelles des millions d’hommes sont morts. Le néo-capitalisme amorcé par la société du Mont Pèlerin créée en 1947 par Hayek est la quasi-religion qui domine actuellement. Au sein de cette société presque secrète, à l’origine de 500 membres, ont été définies les politiques de dérégulation financière et de libre échange qui, revitalisées en 1951 par Milton Friedmann, font actuellement des ravages. Cette société a diffusé sa doctrine de façon systématique dans toutes les grandes écoles d’économie. Elle a fini par s’opposer au libéralisme classique qui prônait le « moins possible d’État » pour laisser « la main invisible du marché » assurer l’avènement de l’harmonie sociale. Le néolibéralisme a en effet préféré soutenir la mise en place d’un État fort au service du néolibéralisme, en soutenant la mise en place systématique de la concurrence. Bien entendu il s’est également opposé aux théories plus sociales de Keynes. Milton Friedmann a été conseiller de Margareth Thatcher, Reagan, Pinochet. Le grand tournant amorcé par la fondation du Mont Pèlerin s’est définitivement installé par la création par Milton Friedmann de l’École de Chicago. La planète entière s’est convertie au néolibéralisme avec la dérégulation financière et la mondialisation, aidé par les nouvelles technologies de l’information.


L’anthropologie néolibérale

L’anthropologie de ce néolibéralisme a été forgée au cours des trois derniers siècles. Elle est l’héritage d’Hobbes et des Lumières, appliquant à l’individu les méthodes d’analyse prévalant en physique et en mathématique, comme s’il s’agissait d’un atome régi par des forces mécaniques. L’être humain était conçu comme un individu qui existe avant et en dehors de toute relation à autrui, un peu à l’image d’un Adam qui viendrait au monde « totalement préfabriqué » et disposant de toutes ses compétences. L’individu seul maître de lui-même, sans rien devoir à quiconque, est totalement autonome, seul moteur de ses actes et responsable donc de ce qu’il fait et de ce qu’il est. Pour les néolibéraux l’être humain est une bête qui a « la compétition dans le sang ». Il est, disait Hobbes, « un loup pour l’homme ».

La société néolibérale est parfaitement irresponsable à l’égard de l’individu. Elle considère qu’un chômeur trouverait un emploi s’il acceptait par exemple de travailler pour la moitié du salaire minimum. S’il ne travaille pas, c’est bien parce qu’il est chômeur volontaire. L’individu doit être strictement égoïste et rationnel. S’il agit par altruisme, la raison en est qu’il cherche à susciter l’admiration. Prédateur et agressif par nature, seule la satiété le conduit à ne pas tenter d’arracher à autrui un bien convoité.

L’État est nécessaire pour une seule chose : inspirer la crainte et le respect de la propriété privée. Il est donc chargé de punir et d’éliminer les déviants. Une société fondée sur la libre concurrence maximise la production et le bien-être collectif. De fait cette idéologie proclamée comme vérité scientifique, est devenue le nouvel ordre religieux auquel obéit la société moderne. Il convient d’ajouter les adjuvants nécessaires au bon fonctionnement de cette croyance : la foi dans un progrès confondu avec une adhésion sans faille à l’indispensable croissance pour la croissance. Le slogan « travailler plus pour consommer plus » résume parfaitement le nouvel idéal de l’individu « civilisé » du monde moderne, c'est-à-dire de l’individu parfaitement robotisé par la société technicienne totalitaire tel que le souhaite l’ordre néolibéral. Cette idéologie a la même caractéristique que celle des religions assurant la perspective d’un royaume idéal à venir. La main invisible du marché est garante de la meilleure régulation possible pour assurer le bonheur de l’humanité. Le progrès est une marche vers l’abondance matérielle. L’abondance est la solution qui dissout les conflits entre individus, et permet de vivre avec l’aide d’un État dont le rôle se limite à assurer la sécurité des biens privés. État gendarme, il n’a pas à contrôler le marché, mais simplement à faire respecter les contrats passés pour favoriser la concurrence à tous les niveaux. Transformation du sujet

Les nouvelles conditions imposées à l’homme depuis une quarantaine d’années ont affecté son économie psychique. De productif et consommateur comme il l’était devenu avec les révolutions industrielles et le développement du libéralisme, il est devenu « sujet entrepreneurial ». Il doit en effet adhérer de toute son âme à la culture d’entreprise. La rationalité néolibérale produit le sujet dont elle a besoin. L’entreprise doit être le lieu de son épanouissement personnel. Il doit pour cela, se conduire comme un individu en compétition permanente pour maximiser ses résultats tout en assumant personnellement la responsabilité de ses échecs. Le salarié est perçu par l’entreprise comme simple marchandise exposée aux fluctuations du marché. L’État doit participer à l’effort de l’entreprise en diminuant les protections sociales, en augmentant la disponibilité, la flexibilité du travailleur. L’idéal pour l’entreprise est que le sujet vive dans la peur, avec le sentiment de vivre dans le risque. Le salarié va alors de lui-même renforcer la compétitivité avec ses compagnons de travail. Le nouveau management vise à ce que chacun construise lui-même la cage dans laquelle il est enfermé. Margaret Thatcher avait trouvé le slogan « l’économie est la méthode. L’objectif est de changer l’âme, l’esprit ». Chacun devient son propre contremaître.


Conséquences éthiques :

C’est le gouvernement de soi qui est la norme. Tous les secteurs de la vie personnelle doivent obéir à cette loi de fonctionner par sa propre volonté, comme une mini entreprise. L’auto entrepreneur a même été instaurée par la loi. Que ce soit l’élève, plus tard l’étudiant, comme leurs parents, tout l’environnement va les exhorter à acquérir cette force morale qui leur permettra de pousser chaque jour plus loin leurs performances. Tout devient objet de réussite, de performances. Que ce soit sur le plan sexuel, ou sur le plan professionnel, chacun doit améliorer ses performances pour être en accord avec l’éthique de l’entreprise, que ce soit au foyer ou non.


Cette éthique n’est pas celle de la conversion du chrétien des IIIe ou IVe siècles. Ni celle du travail valorisé par le protestantisme qui y voyait le signe de l’élection divine et d’une vocation. Ce n’est plus le statut passif du salarié d’autrefois contrôlé par un contremaître. C’est une éthique de l’identification de ses propres aspirations à celle de l’entreprise, entité psychologique, sociale, spirituelle, active dans tous les domaines.


La libération en Jésus Christ

Le chrétien aujourd’hui est placé dans un environnement quasi religieux, qui s’est implanté par porosité dans tous les rouages de la société. L’État, qu’il soit de gauche ou non, s’est mis au service de cette idéologie néolibérale. Les normes dans lesquelles vit la société sont enseignées et diffusées à longueur de journée sur les écrans de la Télévision, des smart phones, des sites informatiques.

L’Église primitive a connu un affrontement similaire avec la culture païenne de l’Empire romain. « Mon Royaume n’est pas de monde » disait Jésus. Les Églises aujourd’hui se sont laissé imprégner par cette quasi-religion du néolibéralisme. Témoigner de la bonne nouvelle qu’est l’évangile commence par une prise de conscience de la réalité de l’environnement dans lequel nous vivons pour prendre ses distances. Toute réflexion éthique qui commencerait par se situer dans l’économie de marché est une manière de donner prise à la corruption. L’entretien de Jésus avec le jeune homme riche en est la preuve.


Hugues Lehnebach est pasteur de l'Eglise protestante unie de France. Cet article parut sur le blog Evangile&Liberté en Isère (www.evangile-liberte-38.org)



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